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Shizi Wang, le retour

 

– Jin, combien tu m'donnes ?


– Quoi ? Ah, laisse-moi, toi. Va jouer avec la petite...


J'avais suivi Ove de près, masquant mal mon sourire, et sachant pertinemment ce qu'il avait l'intention de faire. Jin nous avait une fois de plus assigné au rôle de gardes d'enfant et étudiait attentivement des papiers administratifs étalés sur son bureau. Le vieux Chinois a foudroyé Ove du regard par-dessus ses lunettes à écaille – d'ailleurs, ça le vieillit un max – et comme le Suédois avait l'air de ne pas vouloir partir, Jin a fini par ôter ses lunettes et pousser un soupir excédé :


–Qu'est-ce que tu veux, toi ? Et où est Mei ?


–Le majordome l'aide à se laver les mains, on va prendre le goûter, ai-je répondu.


–Et qu'est-ce que c'est que cette boîte que tu caches dans ton dos, toi ? a marmonné l'Asiatique en avisant le DVD que Ove tenait.

 

–Oh, ça ? C'est la suite d'un très bon dessin animé que Mei a dû t'forcer à voir une quinzaine de fois...

 

Goguenard, Ove a exhibé sous le nez de Jin la jaquette du Roi Lion 2. Jin a pâli – ce type a été traumatisé par le Roi Lion 1, d'après moi – et s'est levé.

 

–Non. Non, non, non, tu ne feras pas ça !

 

–Tu paries combien ?

 

Fébrile, le Chinois a fouillé dans les poches de son pantalon, et en a sorti quelques billets de vingt euros. Ove m'a tirée par le bras pour m'empêcher de me ruer dessus – on ne dit pas avare, on dit opportuniste – et il a tout empoché. Jin, rassuré, s'est rassis.

 

Nous sommes sortis. Comme Ove n'a pas voulu partager les cent – oui : cent, ce crétin a compté devant moi... – euros de Jin, je me suis dit que je n'avais aucun intérêt à lui faire respecter son contrat. Mei est donc miraculeusement tombée sur le DVD du Roi Lion 2, posé très intelligemment sur son rehausseur. Avant que Ove ait pu faire quoi que ce soit, la petite a demandé une traduction à Nestor – je ne connais toujours pas le nom du majordome, c'est une honte... – et a aussitôt bondi de joie.

 

–C'est Gege* qui te l'offre ! ai-je souri avec malice.

 

Gege, dans le dos de la petite, a mimé un étranglement brutal et violent. Dire que je rentrais avec lui en voiture... En même temps, ça ne lui coûtait rien de partager l'argent. Enfin si. Bref : il n'avait qu'à pas être si radin.

 

–Xiexie, Gege ! a remercié la petite.

 

–Merci, lui a traduit le majordome avec un petit sourire.

 

–Ou-i, a articulé Mei, mai-ssi !

 

–Mais de rien ! a souri Ove en lui ébouriffant les cheveux.

 

–Et si on allait montrer ça à Yeye** ? ai-je proposé, alors que Ove semblait sur le point de m'atomiser.

 

–Ouiiiiiiii !

 

Évidemment, Yeye n'a pas été très content, et Gege a dû lui rendre l'argent, sous peine de se faire abominablement torturer.

 

Jin a été forcé de venir regarder le Roi Lion 2 avec nous. Nestor nous avait préparé le goûter et, prévenant, il a amené à son patron un thé bouillant. Le vieil homme s'est installé dans un fauteuil, Mei est allée se blottir sur ses genoux. Comme Ove n'avait pas trouvé la version Mandarin, Jin traduisait certains dialogues à sa petite fille, tout en continuant à nous jeter des regards noirs. Ove s'était allongé sur le canapé, m'en éjectant violemment, et je m'étais pour ma part rabattue sur un grand pouf indien. On a eu droit à du chocolat chaud fait maison, et des biscuits à la cannelle.

 

Pendant une scène où Kiara – c'est la fille de Simba, et si vous avez une culture générale pourrie, je n'y peux rien – se fait escorter de force par Timon et Pumbaa, Mei a éclaté de rire et a murmuré quelque chose à l'oreille de son grand-père. Ce dernier a émis un grognement guttural, qui sera identifié ici comme un rire, quoi que le doute persiste et a déclaré, malgré Mei qui tentait de le faire taire en lui plaquant une main sur la bouche :

 

–Mei dit que – ça va les faire rire, Mei... – Mei dit que vous ressemblez tous les deux à Timon et Pumbaa.

 

–Merci, j'veux même pas savoir qui est l'phacochère, a ronchonné Ove, toujours furieux pour ses cent euros.

 

Jin a demandé en chinois à sa petite fille qui était Pumbaa, et Mei a gloussé en répondant tout bas.

 

–Elle dit que c'est toi, Ove. Et si tu pouvais cesser de roter en sa présence, je préférerais.

 

–Donc moi, je suis Timon, c'est ça ? me suis-je renseignée.

 

Mei a hoché vigoureusement la tête.

 

–En même temps, ai-je murmuré à l'adresse de Ove, c'est normal : Pumbaa il est quand même un peu neuneu, non ?

 

–Toi, t'as pas fini d'pleurer, a grincé le Scandinave en me lançant un coup de pied. Attends un peu qu'on soit seuls...

 

–Pas de violence devant la petite ! a grondé Jin en faisant les gros yeux.

 

–Sssssshhhhhhhh ! a réclamé Mei en lui faisant les gros yeux.

 

Jin a fait la moue mais a obéi. Mei, quatre ans, dompteuse de parrains chinois.

 

Dans le film, Kiara – la fille de Simba, donc – tombe amoureuse de Kovu, le fils de la méchante. Navrée pour le spoil. Ove, qui en voulait toujours à Jin, a demandé avec un sourire moqueur :

 

–Mei, c'est Kiara, c'est ça ?

 

–Ouiiiiii ! a fait l'enfant en battant des mains.

 

–Et Kovu, c'est qui ?

 

–Ove, ça suffit ! a aussitôt fusé Jin.

 

De la fumée aurait pu lui sortir des naseaux.

 

–Non, mais va bien falloir t'y faire, Jin ! s'est moqué Ove. Mei deviendra un jour une jeune fille, et puis une femme, et tous les beaux mecs du coin voudront t'la piquer !

 

–Ove, tu te tais ou tu sors !

 

–Sujet tabou, donc, a ricané le Suédois en posant ses chevilles sur mes épaules. Bouge pas, toi, tu fais un très bel appuie-pieds.

 

Je me suis trémoussée pour qu'il vire, mais ça n'a pas marché. Comme il est bien plus fort que moi et que Jin aurait préféré s'épiler le maillot plutôt que de m'aider, j'ai dû me résigner. Ove a continué à faire des comparaisons entre les personnages du Roi Lion et les gens réels. Sawyer est devenu Zazou – mais si, l'oiseau hyper chiant, qui râle tout le temps et qui a toujours son mot à dire sur tout... On a décidé que Kovu, le jeune lion amoureux de Kiara, allait bien à Boyd. Là, Mei nous a demandé de nous taire, et Jin a dit qu'on allait être tous les deux punis si on n'arrêtait pas de parler. Ove a répliqué que Nookah, un lion un peu débile, ressemblait à Jin, suite à quoi Jin a demandé poliment à Ove de cesser ses enfantillages. Ove a répondu et a dû payer dix euros – qu'il m'a rackettés, soit dit en passant – au pot à gros mots.

 

–Sale hypocrite, a craché Ove en s'affalant à nouveau sur le canapé après s'être acquitté de la dîme punitive. Quand j'pense que tu r'gardes les Real Housewives of Atlanta, a ricané le Suédois en levant le petit doigt et en grimaçant d'un air cocasse. Ramène-toi, toi, mon repose-pieds préféré.

 

–Mais lâche-moi ! Pfff... Et Jin, c'est quoi Real Housewives of je-sais-pas-quoi ?

 

Mais le vieux Chinois, mortifié, a serré les mâchoires, a dégluti et n'a rien voulu répondre.

 

Tard dans la soirée, une fois revenue à la maison, et après avoir subi les vengeances diverses de Ove pour mon comportement « irrespectueux et peu fraternel (sic) » j'ai pu découvrir ce monument de cinématographie américaine que sont les Real Housewives of Atlanta. J'ai harcelé Jin de SMS, lui demandant quelle Housewife il préférait, s'il voulait lui aussi se teindre les cheveux en blond, s'il était amoureux de NeNe, s'il avait un fétichisme sur les talons aiguilles, s'il avait décidé de changer de sexe etc... jusqu'à ce qu'il m'envoie la photo d'une paire de tenailles, accompagnée du message suivant : « Encore un message comme celui-là, et je te promets que tu auras de la chance si tu parviens à t'alimenter avec une sonde oesophagienne. »

 

Voilà ; j'avais promis à Jin de ne PAS leaker ce passage, donc je ne l'ai pas fait, et c'est pour cette raison qu'il est absent de mon Journal n°3, où il se trouvait initialement. Mais vu ce qu'à fait Jin – vous le découvrirez dans le Journal n°4, ce type est le dernier des chameaux, je le déééééééteste –, j'ai demandé à Season de mettre ça en ligne.

 

Donc Jin, si tu me lis : bien fait pour toi, ça t'apprendra à te faire de l'argent sur mon dos ! Mais je t'aime bien quand même. Bisous.

 

***

 

* Grand frère. Si l'auteur acceptait d'investir dans un ordinateur où on peut insérer les accents, l'écriture pinyin serait envisageable. Ce n'est évidemment pas le cas, puisqu'elle est trop pauvre. NdT
** Grand père. En même temps, si vous aviez lu le tome 1 et le tome 2, vous n'auriez pas besoin de toutes ces traductions... NdT

 

***

 

En tant qu'auteur, je rejette sur mes personnages toute responsabilité d'action. Et non, je ne regarde pas les Real Housewives – tout ce qu'il y a de « Real », chez elles, c'est le nom de leur émission. Ou alors uniquement à des fins de recherche scientifique.
Désolée pour la pauvre qualité de cet épisode, je l'ai volontairement coupé du livre Remorae... je le mets en ligne en espérant que ça ait une chance de vous détendre un peu !
Sea.

:o)

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